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SATIRE V.

Inventa le blason avec les armoiries ;
De ses termes obscurs fit un langage à part ;
Composa tous ces mots de Cimier et d’Écart,
De Pal, de Contrepal, de Lambel et de Fasce,
Et tout ce que Segoing[1] dans son Mercure entasse.
Une vaine folie enivrant la raison,
L’honneur triste et honteux ne fut plus de saison.
Alors, pour soutenir son rang et sa naissance,
Il fallut étaler le luxe et la dépense ;
Il fallut habiter un superbe palais,
Faire par les couleurs distinguer ses valets,
Et, traînant en tous lieux de pompeux équipages,
Le duc et le marquis se reconnut aux pages,
LeBientôt, pour subsister, la noblesse sans bien
Trouva l’art d’emprunter, et de ne rendre rien ;
Et, bravant des sergens la timide cohorte,
Laissa le créancier se morfondre à sa porte :
Mais, pour comble, à la fin le marquis en prison
Sous le faix des procès vit tomber sa maison.
Alors le noble altier, pressé de l’indigence,
Humblement du faquin rechercha l’alliance ;
Avec lui trafiquant d’un nom si précieux,
Par un lâche contrat vendit tous ses aïeux ;
Et, corrigeant ainsi la fortune ennemie,
Rétablit son honneur à force d’infamie.
Car, si l’éclat de l’or ne relève le sang,
En vain l’on fait briller la splendeur de son rang ;
L’amour de vos aïeux passe en vous pour manie,
Et chacun pour parent vous fuit et vous renie.
Mais quand un homme est riche, il vaut toujours son prix ;

  1. L’avocat Segoing était l’auteur du Mercure Armorial, où se trouvent tous les mots de ce langage particulier dont Boileau fait ici usage.