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que voici. — » La Belcolore leva les yeux et dit : « — Ce manteau ! Et que vaut-il ? — » Le curé dit : « — Comment, que vaut-il ? Je veux que tu saches qu’il est en drap de Douai, deux fois, trois fois fin, et il y en a chez nous qui le tiennent pour quatre fois fin ; il n’y a pas encore quinze jours qu’il m’a coûté sept lires chez le frippier Lotto, et je l’ai eu à bon marché, y ayant bien gagné cinq sols, à ce que m’a dit Buglietto qui, tu le sais, se connaît fort bien en ces sortes de draps. — » « — Eh quoi ! — dit la Belcolore — que Dieu me soit en aide, je ne l’aurais jamais cru ; mais donnez-le moi d’abord. — » Messer le curé qui avait l’arbalète tendu, ôta son manteau et le lui donna ; et elle, après qu’elle l’eut serré, dit : « — Messire allons dans la grange ; car il n’y va jamais personne. — » Et ils y allèrent. Là, le curé, lui donnant les plus doux baisers du monde, et la faisant parente de messer le bon Dieu, se satisfit un bon temps avec elle : puis, étant parti en soutane, comme s’il revenait de faire une noce, il s’en retourna à l’église.

« Là, réfléchissant que les bouts de chandelle qu’il retirait de l’offerte pendant toute l’année ne valaient pas la moitié de cinq lires, il lui parut avoir fait une mauvaise affaire, et il se repentit d’avoir laissé le manteau ; sur quoi, il songea au moyen de le ravoir sans rien payer. Comme il était quelque peu rusé, il eut bientôt trouvé le moyen de le ravoir, et ne tarda pas à le mettre à exécution. Le lendemain étant jour de fête, il envoya l’enfant d’un de ses voisins chez cette Monna Belcolore, pour la prier de lui prêter son mortier en pierre, car il avait ce matin-là à déjeuner chez lui Binguccio dal Poggio et Nuto Buglietto, et il voulait faire de la sauce. La Belcolore le lui envoya. Quand l’heure du déjeuner fut venu, le curé attendant que Bentivegna del Mazzo et la Belcolore fussent à manger, appela son clerc et lui dit : « — Prends ce mortier et rapporte-le à la Belcolore, et dis-lui : le curé vous fait dire grand merci, et que vous lui renvoyiez le manteau que l’enfant vous a laissé en gage. — » Le clerc alla avec le mortier chez la Belcolore et la trouva à table, qui déjeunait avec Bentivegna. Ayant mis le mortier par terre, il fit la commission du curé. La Belcolore, s’entendant réclamer le manteau, voulut répondre ; mais Bentivegna, d’un air fâché, dit : « — Donc, tu demandes un gage à messer le curé ? Je fais vœu au Christ qu’il me vient envie de te donner un grand coup de poing. Allons rends-le lui vite, et que la teigne te prenne ; garde-toi, quelque chose qu’il veuille désormais, même si c’était notre âne, de ne lui jamais dire non. — » La Belcolore se leva en grommelant, alla à son coffre, en tira le manteau et le donna au clerc en disant : « — Tu diras à messer le