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le tenait à la main cassait. Tout cela la tourmentait. Tout le monde remarquait bien un changement en elle ; mais personne ne soupçonnait que le soldat en fût la cause. On pensait qu’il avait le sens troublé, et que si Victoire ne pouvait empêcher qu’il ne la suivît, c’est qu’elle ne connaissait point de remède.

Un jour elle disait à ses compagnes : « Croyez-moi, mes amies : si quelqu’un venait à présent me rechercher en mariage, qu’il fût pauvre ou riche, beau ou laid, je deviendrais sa femme, pourvu qu’il ne fût pas de notre village. »

« Que t’est-il entré dans la tête ? N’es-tu pas heureuse, contente à la maison paternelle, ou ne te plais-tu plus parmi nous ? » demandèrent les jeunes filles.

« Ne pensez pas de moi choses pareilles, dit-elle. Mais aussi longtemps que le chasseur noir restera ici, je n’y peux pas vivre. Vous ne pouvez vous imaginer comme cet homme importun me fâche, et quel chagrin j’en ressens. Je ne peux plus dormir, ni prier ; ses yeux me poursuivent partout ! » et Victoire exhalait sa plainte avec ses larmes.

« Mais mon Dieu ! pourquoi ne lui défends-tu pas de te suivre ? Pourquoi ne lui dis-tu pas que tu ne peux pas le souffrir, et qu’il te fait mal comme du sel dans les yeux ? »

« Mais n’est-ce pas ce que j’ai déjà fait ? Je ne lui ai, certes, pas parlé ; car, comment lui parler, quand il va me suivant comme mon ombre ? — Mais j’ai prié son camarade de le lui dire. »

« Et il n’a pas obéi ? » demandèrent les filles.

« Certainement non. » Il a répondu à son camarade que personne n’avait rien à lui commander, qu’il