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sourcils noirs qui se déployaient au-dessus, comme des ailes de corbeau, et qui étaient mobiles au milieu, étaient le signe certain que son regard était fascinateur. D’aucuns l’en plaignaient : « Mon Dieu ! Est-ce sa faute s’il est né ainsi ? — Et des yeux pareils n’ont de puissance que sur quelques uns ! Tout le monde n’est pas forcé d’en avoir peur ! » — Néanmoins les voisines, quand il regardait leurs enfants, s’enfuyaient à grande course. Quelque enfant du village venait-il à tomber malade, on disait que le chasseur noir l’avait ensorcelé. On finit pourtant par s’accoutumer à ce visage sombre ; et même il y eut plusieurs filles qui dirent qu’il ne serait pas si laid, si l’expression en était plus affable. Mais l’opinion commune était celle-ci : « Que faire avec un pareil original ? C’est Dieu seul qui sait qui il est, et d’où il est ! Ce n’est peut-être même pas un homme ! Mieux vaudrait se signer en le voyant et dire : « Que Dieu soit avec nous, et nous préserve du mal ! — « Il ne danse pas ; il ne parle jamais ; il ne chante pas : laissons-le ! » Et elles le laissaient. Dire : « Laissons-le » était bien facile à tous ceux qu’il ne poursuivait pas ; mais pour Victoire, il était l’enfer.

Du moment que ce n’était pas nécessaire, elle évitait de sortir, afin d’être débarrassée de ces yeux qui la poursuivaient partout. Elle n’aimait plus danser, parce qu’un visage sombre la fixait de quelque coin de la salle ; elle était moins joyeuse de venir prendre part aux veillées, parce qu’elle savait très-bien que, s’il n’était pas assis dans la chambre du poêle, c’était de la fenêtre qu’il la regarderait du dehors. Alors sa voix devenait tremblante ; le fil qu’el-