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maison ; « elle n’avait pas encore vingt ans, disait-elle, ne possédait pas l’usage du monde ; puis, c’est Dieu qui sait qui doit être mon mari et si je serai heureuse. »

Le père, qui aimait beaucoup sa fille, ne put l’entendre se lamenter, sans en ressentir du chagrin. Et en regardant son beau visage, il se pensait : « C’est vrai, tu as encore assez de temps ; aussi bien trouveras-tu encore assez de prétendants. » Mais les gens parlaient autrement. Ils se disaient que Victoire était fière ; qu’elle attendait un grand seigneur qui roulât carosse ; que l’orgueil est l’avant-coureur de la chute ; que celui qui met un long temps à faire son choix le fait mal. Tels étaient leurs genres de pronostics.

Vers cette époque, un détachement de chasseurs. vint tenir garnison dans le village, et l’un d’eux rechercha Victoire. Si elle allait à l’église, il s’y rendait derrière elle, et s’y tenait non loin d’elle ; puis, au lieu de regarder vers l’autel, il considérait Victoire. Allait-elle aux champs, il recherchait encore son voisinage ; en un mot, elle ne pouvait faire un pas au-dehors qu’elle n’en fût suivie comme de son ombre. Le monde disait de lui qu’il avait le sens troublé, et quand Victoire arrivait parmi ses compagnes et qu’on lui parlait du soldat, elle disait toujours : « Pourquoi ce soldat me poursuit-il ? Il ne me parle pas, ce morose, et j’en ai peur. Quand je le sais près de moi, j’en suis effrayée ; et si je regarde ses yeux, la tête me tourne.

Ces yeux ! ces yeux ! Tout le monde disait que ces yeux-là ne marquaient rien de bon. On ajoutait que ses yeux étaient flamboyants dans la nuit. Et les