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établis les messieurs du château, devait tenir les cruches au-dessus de sa tête, pour ne pas les laisser tomber dans la presse.

« Les voyez-vous, ces messieurs ! » disait la meûnière, en faisant un signe de tête vers le verger où les employés du château voulaient toujours arrêter Christine, quand elle arrivait de leur côté. — « Les voyez-vous, grand’mère ? Je crois bien que c’est là une fille qu’on ne trouverait pas partout. Mais ne croyez pas que le bon Dieu l’ait fait naître exprès pour vos beaux yeux, et pour que vous lui perdiez son avenir. »

« Oh ! Je n’ai pas peur, dit grand’mère à la meûnière, que Christine s’arrête aux discours de ces messieurs. Elle leur montrerait plutôt la porte de sortie. »

C’est ce qui arriva. L’un de ces petits-maîtres qui sentaient le musc à dix pas, s’intéressa à Christine, car il lui chuchotait quelques mots à l’oreille. Mais elle lui répondit en se moquant : « Remballez, monsieur, remballez ; nous n’achèterons point ! » Sur quoi, elle ne fit qu’un saut jusqu’à la salle où, le visage rayonnant, elle mit sa main dans la main calleuse d’un grand jeune homme qu’elle laissa l’embrasser, et la conduire à la danse, sans prendre attention qu’on lui criait de tous les côtés : « Christine, venez nous servir ! »

« C’est qu’il lui était un ami plus cher que le château avec tous ses messieurs et tous ses trésors » ; ajouta grand’mère en souriant ! Elle souhaita ensuite bon soir à la meûnière et reprit, avec ses petits enfants, le chemin de la maison.