Page:Božena Němcová Grand-mère 1880.djvu/60

Cette page n’a pas encore été corrigée
— 50 —

dîner excellent, et dont le chien avait une part, pour qu’il en fût d’autant mieux apaisé. Le petit Jeannot avait grandi vite, car le père le conduisait déjà à l’école ; Jean se faisait instituteur et lui apprenait à épeler. Mais c’était trop peu d’un élève ; alors, ils disaient : « Eh bien ! jouons tous à l’école. » Jean était donc passé maître, et il était bien fâché contre ses élèves de ce que pas un n’apportait de devoir fait. Comme il n’en allait pas autrement, il fallait bien en passer par là. Et le chien, qui était aussi de l’école, mais qui ne savait rien que ronfler derrière le poêle, était condamné, par monsieur le maître, à recevoir d’abord deux férules, puis à porter au cou un écriteau noir ; ce qui n’était pas d’une exécution aussi facile. Car aussitôt qu’il se sentait la tablette au cou, ce gros velu sautait de fureur, et du haut en bas du four, avec un affreux vacarme et tout en s’arrachant le signe d’ignominie. Le maître-garçon du moulin sautait, effrayé, de son banc ; grand’mère crachait et le père meunier, faisant, avec sa tabatière, un geste de menace vers le four, criait : « Filet à poissons ! Sac à écrevisses ! Restez en repos ! ou, si je me lève, vous verrez ce que je sais faire ! » et tournant sa tabatière, il détournait la tête, pour que les enfants n’aperçussent point son sourire.

« Je suis sûre que c’était notre lucifer qui faisait tout cela ! » disait grand’mère. « Il faudrait nous en aller ; ils seraient capables de retourner le moulin sens dessus-dessous, ces enfants-là ! » Mais monsieur le meûnier s’opposait à la retraite ; on n’avait pas encore fini le récit de la guerre des Français et des trois souverains. Grand’mère les avait connus tous