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crépuscule, elle descendait lentement jusqu’à la digue, s’y asseyait sur une souche couverte de mousse, regardait du côté de l’eau et chantait bien longtemps et bien avant dans la nuit. « Mais grand’mère, » demandaient les enfants, « pourquoi Victoire n’a-t-elle pas de beaux habits, pas même le dimanche ? Et pourquoi ne parle-t-elle jamais ? »

« Parce qu’elle est folle. »

« Et qu’est-ce donc qu’être fou ? » demandaient encore les enfants.

« C’est quand on a le sens troublé. »

« Et qu’est-ce qu’on fait donc, quand on a le sens troublé ? »

« Vous en avez un exemple : Victoire ne parle à personne ; sa robe est toujours déchirée, et elle demeure au bois dans une grotte, l’hiver comme l’été. »

« Et la nuit aussi ? » demandait Guillaume.

« Et sans doute aussi. Vous l’entendez bien chanter à la digue jusque dans la nuit ; puis, elle va se coucher dans sa grotte. »

« Et n’a-t-elle pas peur des feux follets et de l’homme qui vit dans les eaux ? » demandaient les enfants, avec grand étonnement.

« Mais il n’existe pas d’ondin, » dit Barounka, « c’est papa qui l’a dit. »

En été, Victoire venait bien rarement près d’une maison ; mais, en hiver, elle approchait comme la corneille, frappait à la porte ou à la fenêtre en tendant la main ; puis, après avoir reçu un morceau de pain ou autre chose, elle s’en allait silencieusement.

Quand les enfants eurent vu, sur la neige gelée, la trace sanglante des pieds de Victoire, ils coururent