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précipite les pierres du haut des montagnes, emporte les toits des maisons ; en un mot, partout où il passe, tout est anéanti comme par une permission divine.

L’herboriste apportait tous les ans les mêmes racines et les mêmes histoires ; mais elles paraissaient toujours nouvelles aux enfants qui se réjouissaient beaucoup de son arrivée. Aussi quand les premiers colchiques fleurissaient à la prairie, ils disaient : « Ah ! la vieille des montagnes va venir bientôt » ; et si elle était en retard de quelques jours, grand’mère de dire : « Qu’est-il donc arrivé à la vieille ? serait-elle malade, ou morte peut-être ? » Et on en parlait aussi longtemps qu’elle ne paraissait pas dans la cour, son panier sur le dos.

Grand’mère faisait quelquefois avec les enfants de longues promenades à la vénerie, au moulin, dans les bois, où retentissait le chant des oiseaux et où l’on se trouvait si bien de s’asseoir sous les grands arbres ; là où croissaient tant de muguets odorants, de primevères, d’hépatiques, de lychnis, de touffes entières de daphnés et le beau lis sauvage. La pâle Victoire leur apportait toujours ce lis, quand elle les voyait cueillir des fleurs et en faire des bouquets ; car elle était toujours pâle, mais ses yeux noirs brillaient comme deux escarboucles ; ses cheveux noirs flottaient en désordre autour de son visage, où la douleur avait laissé des traces ineffaçables ; elle n’était jamais bien mise, et elle ne parlait jamais la première. Un grand chêne s’élevait à l’entrée de la forêt ; Victoire s’y tenait debout des heures entières, regardant fixement vers la digue. Quand venait le