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déraison à toi, me disait-elle que d’entrer au ménage sans une pièce de literie, sans un meuble et sans vêtements. Depuis que je vais et viens dans le monde, je n’ai jamais vu les choses mises ainsi sens dessus-dessous. » Elle dit ; mais je reçus un trousseau complet, et quand tout fut bien en ordre, je retournai près de Georges que je n’ai pas quitté. Ah ! C’est cette malheureuse bataille !… si elle n’avait pas eu lieu, il serait encore de ce monde. Ainsi tu vois, ma chère fille, que je sais ce que c’est que plaisir et regret ; que jeunesse et déraison. » Ce fut ainsi, et en y joignant un doux sourire, que grand’mère termina son récit, en même temps qu’elle appuyait affectueusement sa main amaigrie sur le bras potelé de Christine.

« Vous en avez beaucoup enduré, grand’mère, mais vous avez pourtant été heureuse : vous avez obtenu, ce que votre cœur avait désiré. Si je saurais qu’après tous mes tourments, je dusse être heureuse aussi, je les endurerais tous avec joie, et dusse-je attendre Mila pendant quatorze années, ajouta Christine. —

« C’est Dieu qui tient l’avenir en sa main. Cet avenir, quel qu’il soit, tu n’y échapperas pas, ma fille. » Le mieux est de t’en remettre avec une ferme confiance à la volonté de Dieu. Oui, c’est bien cela ! Mais c’est ce qu’on oublie maintes fois quand on a eu malheur. S’ils m’emmènent Jacques Mila, je vivrai dans les larmes. Avec lui s’en ira tout mon bonheur ; avec lui aura disparu tout appui pour moi.

« Et pourquoi parler ainsi, Christine ? N’as-tu pas un père ? »