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par jour pour se rendre, soit aux champs, soit au pré. D’ailleurs les gens de la maison sont sortis, en sorte qu’elle reste souvent seule ; puis, ce n’est ni la coutume, ni une nécessité que les filles soient toujours chaperonnées ; il faut qu’elles se gardent elles mêmes, et enfin il y aura ainsi toujours assez d’occasions, pour un malintentionné, de chercher à les poursuivre. Mais le bon Dieu m’a protégée. J’ai été habituée dès l’enfance à aller couper de l’herbe de grand matin, quand tout le monde dormait encore. Ma mère a toujours dit que Dieu donne à celui qui se lève de bon matin ! Et elle avait raison ; car j’en aurais toujours retiré, sinon du profit, du moins une grande joie. Quand, le matin, j’allais au verger ou dans les champs, et que j’y voyais la fraîcheur de l’herbe verte, tout humide de rosée, mon cœur chantait de joie. Je voyais dans chaque fleur qui se présentait à moi l’image d’une jeune fille qui lève sa tête gracieuse, ses yeux clairs. Chaque petite feuille, chaque pointe d’herbe exhalait pour moi son parfum. Les oiseaux, ces pauvres petits, s’élevaient au-dessus de ma tête, en chantant les louanges de Dieu ; et partout, aux alentours, régnait le silence profond. Puis, quand le soleil commençait à se lever de derrière les montagnes, je croyais être, pour ainsi dire, dans une église : je chantais, et la besogne, entre mes mains, ne s’en hâtait que davantage, comme si le travail ne m’eût été qu’un jeu.

« Or, c’était par une de ces belles matinées que je coupais de l’herbe dans le verger, quand tout-à-coup j’entends dire derrière moi : « Que Dieu te vienne en aide, Madeleine ! » Je me retourne, je