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dès sa naissance. Ce fut pour nous une bien malheureuse bataille. On me rapportait au camp, et sur un brancard, Georges blessé dès le premier engagement. Un boulet lui avait fracassé la jambe ; on fut obligé de la lui couper. Je le soignai de mon mieux. Quand il se trouva un peu soulagé, on le renvoya à Nisch. J’en ressentis de la joie avec l’espérance de sa guérison ; j’espérais bien aussi qu’on ne voudrait plus d’un estropié, et que nous pourrions rentrer en Bohême. Mais mon espérance me trompa. Il commença, tout d’un coup, à s’affaiblir de jour en jour, et ce fut sans remède ; il lui fallut mourir. J’avais sacrifié jusqu’au dernier groschen pour payer des médicaments qui n’avaient servi à rien.

Je crus cette fois que c’en serait fait de ma raison et que mon cœur se fendrait de chagrin ! Mais l’homme peut encore supporter beaucoup, Madame. Il me restait trois orphelins, mais pas un denier vaillant sur un thaler ; j’avais encore ces quelques chiffons. Dans ce même régiment, où servait mon Georges, il y avait un sergent-major, nommé Lhotsky, ami intime de mon mari ; il me protégea, et comme je lui dis que je ferais bien des couvertures, il me procura un métier de tisserand, et tout ce dont j’avais besoin pour cela. Que Dieu l’en récompense ! il se trouva que bien m’en avait pris, d’avoir, dans ma jeunesse, appris quelque chose de ma belle-mère, aujourd’hui défunte. Mon ouvrage se trouva être de défaite avantageuse. Bientôt je pus rembourser à Lhotsky ses avances, et vivre honnêtement avec mes trois enfants.