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La droiture et les franches saillies de grand’mère plaisaient fort à la princesse qui désira entendre de sa bouche comment, et où, elle avait reçu de l’empereur cette pièce d’argent. Grand’mère ne se fit pas prier, et raconta à madame la princesse ce que nous lui avons déjà entendu dire au moulin, et la princesse en rit de tout son cœur. Regardant autour de soi par la chambre, grand’mère aperçut le portrait du roi Frédéric. « Ha, voici le roi de Prusse ! » s’écria-t-elle. « J’ai fort bien connu ce souverain. Mon défunt mari a servi quinze ans dans l’armée prussienne, et j’ai passé quinze ans en Silésie. Il l’a fait plusieurs fois sortir des rangs, mon Georges, pour lui donner plusieurs pièces d’argent. Il aimait les hommes grands. Or, mon Georges était bien le plus grand de son régiment, et svelte comme une jeune fille. Je n’aurais jamais cru que je verrais son tombeau. Un pareil homme, solide comme le roc, et depuis longtemps déjà dans l’éternité ! Tandis que moi, je suis encore ici ! » dit la vieillotte en soupirant, et une larme coula le long de sa joue ridée.

« Ton mari est tombé sur le champ de bataille ? » demanda la princesse.

« Non pas positivement, mais il est mort d’une blessure causée par un coup de feu. Quand l’insurrection éclata en Pologne et que le roi de Prusse vint se joindre aux Russes, notre régiment s’y trouvait. Je suivis mon mari avec mes enfants ; j’en avais déjà deux, et la troisième naquit sur le champ de bataille. C’est ma fille Jeanne, qui vit à Vienne à présent, et c’est peut-être pour cela qu’elle est si courageuse, forcée qu’elle a été de s’habituer à tout,