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moussue et chantait. Je ne saisissais pas une parole ; mais la mélodie était celle de la Berceuse, que les mères chantent à leurs enfants :

     Dors, mon enfant, dors !
                              ferme tes petits yeux ;
                              le bon Dieu sera avec toi ;
                              un petit ange te bercera. —
                              Dors mon enfant, dors !

Cette mélodie retentissait si tristement dans la nuit que je ne pus rester en place, tant j’étais épouvanté. Elle resta, elle, assise pendant deux heures, et ne faisant que chanter. Depuis ce jour, elle va s’asseoir tous les soirs à la digue et chante chaque fois ce même air de la Berceuse. Au matin, je racontai tout à mon maître, qui reconnut tout de suite ce qu’elle pouvait avoir jeté dans l’eau. Et il avait deviné juste. Quand nous la revîmes, sa contenance était bien autre. Sa mère et tous les autres en furent au désespoir ; mais que faire ? Là où il y a inconscience, il n’y a pas de péché.

Peu à peu elle s’accoutuma à venir jusqu’à notre porte, lorsque la faim l’y poussait. Mais elle faisait dès lors comme elle fait aujourd’hui, c’est-à-dire qu’elle arrivait, se tenait silencieusement à la porte, et attendait. Ma femme — qui, en ce temps là, était encore jeune fille — lui donnait sur le champ sa pitance ; elle la recevait sans dire mot, et s’enfuyait au bois. Quand je vais par la forêt et que je la rencontre, je lui donne du pain qu’elle accepte ; mais, si je voulais lui parler, elle s’esquiverait sans rien prendre. Elle aime singulièrement les fleurs. Si elle ne tient pas un bouquet à la main, c’est