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Ses connaissances, ses parents, son père, sa sœur, et Marie qui était déjà fiancée à Antoine, étaient aux aguets pour lui parler et pour la ramener sous le toit paternel ; mais elle évitait son monde, et se laissait voir rarement en plein jour.

Un soir qu’elle était venue s’asseoir dans le voisinage de la ferme, Marie s’avança tout doucement de son côté, et, de sa voix la plus caressante, lui dit : « Viens, Victoire, viens dormir auprès de moi dans la chambre ; il y a si longtemps que tu y as couché ! tout le monde et moi, nous sommes en peine de toi ! Oui ! Viens avec moi ! » Victoire la regarda, se laissa prendre par la main et emmener jusqu’au vestibule. Tout d’un coup, elle dérobe sa main et s’enfuit. On fut ensuite plusieurs jours sans la revoir près de la ferme.

Un autre soir je me trouvais, de garde sur la côte, au-dessus de la Vieille-Blanchisserie. La lune éclairait comme à giorno. Je vis sortir Victoire du bois. Elle marchait, les bras croisés sur sa poitrine, la tête inclinée en avant, et sa démarche était si légère qu’elle semblait à peine toucher la terre de ses pieds. Elle courait droit à la sortie du bois, et droit à la digue. Je l’avais vue si souvent aller de ce côté, ou bien s’asseoir au coteau, sous le même grand chêne, que cette fois je n’y pris pas attention tout d’abord. Mais quand j’en fus venu à regarder mieux, je vis qu’elle jetait quelque chose dans l’eau, et je l’entendis rire d’une manière si sauvage que mes cheveux en furent tout hérissés. Mon chien se mit à hurler terriblement. Pour le coup, je frémis d’horreur. Victoire s’était assise ensuite sur une souche