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« Ah ! Jésus, mon Sauveur ! » répondit la vieille en gémissant : « elle lui donné un scapulaire béni ! elle lui donne un objet qu’elle a porté sur son corps ! Tu es en son pouvoir ! — tu es perdue, et ce n’est pas même le bon Dieu qui t’arrachera de ses griffes ; il t’a parfaitement ensorcelée.

« Il m’a dit que ce charme, c’est de l’amour ; puis, que je ne dois pas me fier à un autre, » ajouta Victoire.

« Oui, oui, ils disent cela, l’amour… ! Je le lui dirais bien aussi, ce que c’est, que l’amour ? Mais tout est inutile.

Qu’as-tu donc fait, malheureuse fille ? Il te sucera le sang du corps ; il te pressera jusqu’à ce qu’il ait tout sucé, et ton âme n’aura pas de repos après la mort. Et comme tu aurais pu être heureuse ! »

Victoire était stupéfaite, et même effrayée des propos de la commère ; elle n’en dit pas moins, après quelques minutes de silence : « Rien ne sert de rien : je le suivrai ; et quand même il me mènerait en enfer. Tout est inutile. Couvrez-moi ; j’ai froid, » ajouta-t-elle, après un nouveau moment de silence.

La vieille étendit sur elle toutes les couvertures qui se trouvaient là ; mais Victoire avait toujours le frisson et ne prononça plus le plus petit mot.

La vieille aimait vraiment Victoire, et quoiqu’elle fût fâchée contre elle de ce qu’elle avait donné son scapulaire au soldat, le sort de cette pauvre fille, qu’elle regardait comme perdue, la chagrinait fort. Elle ne dit mot à personne des confidences de Victoire.

Depuis ce jour là, Victoire resta couchée comme morte. Elle ne prononçait qu’en rêve des paroles