Page:Božena Němcová Grand-mère 1880.djvu/103

Cette page n’a pas encore été corrigée
— 93 —

« Tu l’as sous ton oreiller. »

Victoire prit le mouchoir, regarda les traces sanglantes, considéra le nom brodé à l’aiguille et qui lui était tout-à-fait inconnu et son visage, de pâle qu’il était, devint rouge.

« Ma fille, ma fille, tu ne me plais pas ; qu’est-ce que je dois penser de toi ? »

« Pensez que Dieu m’a abandonnée, et que je suis perdue pour l’éternité, et que personne ne peut me secourir. »

Elle a peut-être de la fièvre, et bat la campagne, se pensa la vieille, en touchant les joues de Victoire. Mais ses joues étaient froides ; ses mains aussi ; seulement ses yeux étaient brillants ; elle les avait fixés sur le mouchoir qu’elle tenait à deux mains.

« Écoutez, marraine, » commença-t-elle à voix plus basse ; « je vais vous dire tout, mais ne le racontez à personne. Il y avait deux jours que je l’avais vu ; vous savez qui je veux dire ; mais aujourd’hui, dès le matin, aujourd’hui quelque chose me disait : « Va-t-en au trèfle, vas-y, » et cela me tintait dans les oreilles. Je savais que ça finirait mal ; je savais bien que c’était une tentation ; car c’était là, près du champ, qu’il avait coutume de se tenir, assis sous l’arbre et sur le côté. Mais je n’eus de repos qu’après avoir mis mon fichu sur ma tête, et la faux sur mon épaule.

En chemin, la pensée me vint que moi seule, j’étais mon ennemie ; mais j’entendais toujours résonner à mes oreilles ces mots : « Va toujours ! va au trèfle ; qui sait s’il y sera ? pourquoi aurais-tu peur ? Thomas viendra bientôt derrière toi. Cette