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« Regarde à travers les branches, en face de nous ; ne vois-tu rien ? » lui dit tout bas Victoire.

Son fiancé regarde : « Non, je n’y vois rien ; mais toi, qu’as-tu vu ? »

Il me semblait que le soldat noir nous observait, murmura la fiancée, d’une voix plus faible encore.

« Attends : il faut en finir ! » s’écria Antoine. Et s’élançant il chercha dans tous les coins du verger ; mais ce fut en vain — il ne voyait personne. « Je ne le lui passerai pas, dit-il, et s’il ose te regarder toujours, je lui jouerai un fameux tour, » s’écria Antoine.

« Ne t’engage pas en querelles avec lui, je t’en prie, Antoine ; tu sais : un soldat, c’est un soldat. Mon père a été déjà à la Montagne-Rouge, et il aurait bien donné quelque chose pour que le lieutenant le délogeât d’ici, afin de l’envoyer autre part. Mais l’officier a répondu qu’il n’y pouvait rien, quand même il le voudrait ; qu’après tout ce n’est pas une infraction pour un homme de regarder une fille. Le père apprit, là aussi, par les soldats, que ce hussard était d’une famille très-riche, qu’il s’était engagé, comme volontaire, au service militaire et qu’il pourrait s’en retirer, quand il le voudrait. Tu pourrais donc ne pas trouver ton compte à lui faire quelque cliose. » Ce langage de Victoire à Antoine fit que celui-ci promit de laisser le soldat tranquille.

Mais depuis ce soir-là, Victoire eut à passer des moments bien pénibles, et quoiqu’elle pressât, avec confiance, le scapulaire contre son cœur, il ne cessait de battre avec force, quand les malheureux yeux se fixaient sur elle. Victoire retourna encore