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avoir une pensée qui ne fût la pensée de leur groupe, de n’aimer ou détester rien qui ne fût aimé ou détesté en commun, de ne jamais observer le moindre secret, de se lire toutes leurs lettres et de vivre ensemble à perpétuité, sans se séparer un seul jour.

Naturellement, Théophraste avait dû être l’instigateur de cet acte solennel. Les autres n’auraient pas été si loin.

Employés tous quatre dans le même bureau d’un ministère, il leur fut possible de réaliser l’essentielle partie du programme. Ils eurent le même gîte, la même table, les mêmes vêtements, les mêmes créanciers, les mêmes promenades, les mêmes lectures, la même défiance ou la même horreur de tout ce qui n’était pas leur quadrille et se trompèrent de la même façon sur les hommes et sur les choses.

Afin d’être tout à fait entre eux, ils lâchèrent malproprement leurs anciens amis et leurs bienfaiteurs, parmi lesquels un fort grand artiste qu’ils avaient eu la chance incroyable d’intéresser un instant et qui avait essayé de les prémunir contre la tendance de marcher à quatre pattes comme des pourceaux…

Des années s’écoulèrent de la sorte, les meilleures années de la vie, car l’aîné Théophraste avait à peine trente ans quand l’association commença. Ils devinrent presque célèbres. Le ridicule naissait tellement