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pas moindre que le fameux Ambroise Chaumontel, qui occupa de ses affaires la moitié du globe, l’avocat incomparable dont l’éloquence eût embrouillé jusqu’aux filaments du chaos et pétrifié les ténèbres.

Le maître avait environ soixante ans et ne se l’envoyait pas dire. Il le déclarait lui-même à tout le monde, en toute occasion, car c’était sa douce manie d’aspirer à la dignité des patriarches.

Venimeusement quelques rivaux l’avaient accusé de teindre ses cheveux en blanc, afin d’être plus auguste en plaidant pour l’orphelin. Mais il maintenait son âme infiniment au-dessus de l’envie dont les impuissantes flèches venaient expirer à sa base.

La décourageante réputation qu’il s’était acquise en un quart de siècle de barre, sa grande fortune et le haut éclat d’un nom que plusieurs générations de braillards avaient illustré, mettaient entre lui et la multitude vile d’infranchissables étendues.

Enfin il jouissait d’une sorte de considération toute anglaise que rien ne semblait pouvoir entamer et passait, avec raison sans doute, pour une figure peu excitante, mais combien précieuse ! de l’intégrité professionnelle.

Il faut croire que, ce jour-là, d’étranges soucis l’obsédaient, car il ne répondit pas à sa fille et devint plus morose encore, fixant de ses deux gros yeux habitués aux dignes regards, un objet quel-