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misère. À cette époque, rien ne pouvait me faire pressentir le succès futur et la consécutive prospérité que m’envient sans doute, aujourd’hui, quelques pauvres diables qui ont hérité de ma détresse. J’étais, alors, dévoré moi-même de la plus basse, de la plus haineuse envie. Féru de la beauté de mon âme et ne doutant pas de mon génie, pouvais-je tolérer que des gens vulgaires, de définitifs crétins et d’imperfectibles cancres possédassent impunément des habitations, des femmes, des cochons, des pommes de terre, cependant que le plus grand artiste du monde couchait sous le pavillon des chastes étoiles ?

» Car j’étais sans domicile, sans argent, quelquefois même sans poches, et mon estomac d’adolescent récriminait sous la loi dure de l’appétit le plus insatiable.

» Stimulé par un trafiquant de chair humaine, j’avais entrepris le courtage des assurances sur la vie des autres et ne parvenant pas à décrocher la moindre police, j’expirais littéralement de faim dans la campagne, en m’efforçant de gagner Paris de mon pied léger… »



En cet endroit, messieurs, dit le lecteur, les détails et les circonstances de lieu sont d’une telle précision que je suis forcé de passer un assez grand nombre de lignes. Vous êtes, d’ailleurs, suffisamment