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lapin qui pourra se vanter de me connaître est encore dans le tiroir d’une petite maman qui ne vêlera jamais. Il suffit de te regarder une minute, mon pauvre bonhomme. Ta figure a l’air d’un paillasson sur lequel tout le monde aurait essuyé ses bottes. Tu n’as pas mangé depuis deux jours, je vois ça à ta manière de poser tes pattes de derrière, et tu as dans le coin de l’œil un picotement de bon bougre qui ne souffre pas seulement pour sa carcasse. Tiens, fourneau, regarde donc cette affiche de notaire. Cent vingt mille ronds de petite braise d’amour pour une turne avec jardin et goguenots confortables. Un morceau de pain, quoi ! Eh bien ! tu me fais l’effet d’un placard de vente aux enchères et je te lis aussi facilement que tu mangerais un poulet rôti. Voyons, combien veux-tu de ta peau ? Je l’achète, moi,

— Monsieur, dit à son tour le famélique, vous avez tort de vous moquer de moi. Je vous assure que je n’ai pas le cœur à la plaisanterie.

L’étranger eut un sourire de ses dents noires et déchaussées qui le fit paraître plus livide encore.

— C’est vrai, fit-il, je m’entends à la plaisanterie. J’ai fait quelquefois d’assez bonnes farces qui ont eu un certain retentissement. Je suis même très recherché pour cela. Mais je ne plaisante pas toujours. Écoute-moi bien et tâche de ne pas me faire répéter. Je n’ai pas l’habitude de causer si longtemps que ça. Voici un billet de cent francs. Va te remplir,