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cipité le spéculateur au plus profond des abîmes, la jeune fille vivait avec sa mère sur de misérables débris de l’opulence d’autrefois, se cramponnant à l’espoir de cet héritage bienheureux qui devait l’unir à son Lépinoche qu’elle imaginait chaque jour plus beau, plus idolâtrable.

Car c’était son oncle, à elle, le propre frère de son père, ce Tiburce des vins et spiritueux qu’on savait si riche et si avare, mais qui était vieux et sans enfants. Une fois l’an, par l’effet d’une antérieure habitude, il envoyait une caisse de bouteilles et c’était tout. Il fallait attendre, hélas ! puisque cet homme ne pouvait être utile qu’à la manière des cochons, c’est-à-dire après sa mort.

Le grigou, par malechance, ne semblait pas vouloir crever, et les années passèrent ainsi. Justine se voyant vieillir elle-même, luttait avec rage et Lépinoche, visiblement dégoûté, se cachait à peine de chercher ailleurs.

Il devenait même insolent. Je n’ai pas su tous les épisodes ou péripéties, mais à coup sûr la pauvre fille brûlait trop pour avoir jamais refusé quelque chose à son misérable amant et je crus, plus d’une fois, remarquer en celui-ci la blague féroce, la cruauté lâche d’un bellâtre qui n’en est plus à solliciter quoi que ce soit et qui n’a rien donné pour tout obtenir.