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livres vécus. La plupart des romanciers contemporains nous donnent ainsi à flairer leurs petites affaires de cœur. Je veux me persuader que ce barbarisme finira par tomber dans le ridicule.

Mais si l’on y tient absolument, quel livre, je le demande, quel roman moderne, quelle autobiographie mâtinée de fiction, pourrait être plus vécue que les lamentations et les hurlements de ce supplicié dont l’âme est aveugle, dont la mémoire est éteinte, qui ne sait plus s’il y a quelqu’un pour l’entendre, qui ne gémit sur lui-même que pour lui-même et qui ne s’interrompt de vociférer son désespoir que pour sibiler sa douleur ?

L’intensité de cette flamme qui va mourir est positivement effrayante et les contorsions littéraires des historiographes de nos plates mœurs, semblent peu de chose, en vérité, à côté du tragique portentueux de ce désorbité de l’Amour et de la Lumière.

Car, c’est un vrai fou, hélas ! un vrai fou qui sent sa folie, qui s’arrête subitement de nous raconter sa soif d’un monde infini, pour exhaler ce cri déchirant : « Qui donc sur la tête me donne des coups de barre de fer comme un marteau frappant l’enclume ? » C’est un fou comme il ne s’en était jamais vu, qui aurait pu devenir l’un des pus grands poètes du monde, qui s’en doutait assurément et qui s’est éteint dans le plus affreux des sépulcres, avant d’avoir eu le temps qui fut accordé au Tasse, bien moins inspiré que lui, d’enfanter son œuvre.