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élever mon âme jusqu’à l’excessive hauteur de cette volupté ineffable… »

L’obsession continuelle de ce malheureux Lautréamont, — évidemment un pseudonyme, — est en effet, le blasphème. S’il est misanthrope, c’est qu’il se souvient que l’homme est à la ressemblance de Dieu.

Le blasphème est une denrée littéraire devenue assez peu précieuse. Notre époque l’a beaucoup aimé, depuis le blasphème aristocratique de Baudelaire jusqu’au blasphème truand de Richepin. Toutes les familles en demandent. Mais la qualité de celui-là est unique parce qu’il est proféré par un pauvre fou de chagrin qui ne regarde pas le public.

Son auditoire, ce sont ses propres membres lamentables. C’est à son foie malade qu’il s’adresse, à ses poumons, à sa bile extravasée, à ses tristes pieds, à ses moites mains, à son phallus pollué, aux cheveux hérissés de sa tête perdue d’effroi.

Il paraît leur dire, à ces témoins, comme le Prométhée d’Eschyle aux Océanides : « Voyez de quelles iniquités je souffre ! » en pensant au Dieu qu’il accuse.

L’effet d’ensemble est terrible au delà de toute expression et d’une beauté panique surprenante. Je n’étais pas tout à fait exact en disant qu’il n’y a pas de forme littéraire. Le style des Chants de Maldoror est une sorte de poncif configuré à la divaguante passion d’un dément. L’originalité serait nulle sans le paroxysme très-particulier