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des désespérés, des maudits que j’aime et que je t’avais confiés en t’investissant d’une boue meilleure ? Quelle goutte de ton sang, quelle larme efficace as-tu répandue pour ce poète désolé dont vingt mille de mes séraphins ont contemplé l’agonie et qui n’attendait qu’un geste de toi pour subsister en me glorifiant ? Dans la splendeur de tes fêtes quasi royales, as-tu pensé, quelquefois, aux pauvres lampes humaines qui se consument en silence devant ma Face douloureuse ? Quand tu t’es baignée dans tes parfums, as-tu songé qu’ils pouvaient être sublimes, les pieds putrides des errants et des pourchassés ? L’enseignement de ma Parole et de mon Église a-t-il pu te faire comprendre que ces richesses enviées ne t’appartenaient que comme un dépôt et que tu avais seulement l’honneur de porter, entre tes deux mamelles, le viatique terrestre de Jésus souffrant dans ses membres ; qu’il te fallait, par conséquent, — avec une diligence infinie, avec une voix brisée de tendresse et des mains tremblantes d’amour, — vaquer, tous les jours de ta vie, aux plaies horribles, aux réprobations monstrueuses, aux dérélictions épouvantables et te rédimer ainsi de ton dangereux bonheur ? Enfin, as-tu pris, un jour, un seul jour de ta longue vie, tes propres entrailles dans ta main, pour les interroger avec anxiété sur tous ces points d’où dépendent tes destinées éternelles, — pauvre âme solitaire pour qui je saigne sur ma vieille croix depuis deux mille ans ?…