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tragique de la potentate qui pouvait, à sa volonté, manger, chaque jour, le pain, la chair et le sang de dix mille pauvres, — où donc est-elle ?

Si le Christianisme n’est pas l’erreur tenace de la tête humaine, en même temps que le déshonneur immortel des balais philosophiques impuissants à le congédier, il faut avouer que c’est, tout de même, formidable de penser qu’au moment précis où la douleur des journaux éclate à propos du décès d’un grand, — quelque chose vient de commencer qui n’aura jamais de fin pour ce disparu.

Pendant que les chroniqueurs sonnent à leur manière l’hallali du pauvre corps revendiqué par toutes les horreurs sépulcrales, pendant que les chapelles ardentes s’allument dans les cryptes des palais et dans les souterraines imaginations des hoirs, pendant qu’on dénombre les écus et qu’on secoue dans l’oreille des indigents les glorieux coffres gavés de millions ; oh ! surtout à ce moment-là, sans doute, l’âme, — désemparée du sensible et tout à fait nue devant Quelqu’un dont le Nom est irrévélable, assiégée de toutes les flagrances des cieux, immergée dans le resplendissement de la Justice absolue, — se juge elle-même avec une rigueur dont l’esprit humain n’a pas la mesure et répercute en sa profondeur les litigieuses interrogations de la Lumière :

— Qu’as-tu fait de mes petits que j’avais suspendus à ton sein ? De quelle manière as-tu réparti la substance des lépreux, des prostituées,