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mère de Bellérophon qui n’avait pas l’excuse d’être belle et qu’on pouvait égorger en s’y prenant bien. C’est l’ondoyante et vagabonde chimère des cosmopolites du Rêve éternel.

— Je n’ai d’autre patrie que l’exil, dit Axel dans le fameux drame de Villiers de l’Isle-Adam, et cet insolite Axel est évidemment l’auteur lui-même chevauchant à pleins étriers sa fabuleuse monture. Qu’elle l’entraîne vers le Cap Nord ou le Cap de Bonne-Espérance, qu’elle s’élance, aggravée de lui, d’un unique bond, par dessus les constellations et les nébuleuses, elle ne peut le désarçonner, cet homme ayant préféré l’immaculée conception de ses songes aux dégoûtantes satiétés de la vie palpable.

Quand on est un tel migrateur, il faut renoncer ostensiblement aux discutables délices de tous lares et de tout foyer. Il faut abdiquer toute ambition de jamais appartenir à la troupe élue des usufruitiers de la considération publique. Il faut, surtout, déposer tout cupide espoir de sécurité matérielle, car la Chimère n’entend pas qu’on la leurre d’aucun partage, et son dos crénelé de flammes est un suffisant canton pour les téméraires qui s’y sont assis. Enfin, cette Bête sublime est décidément une chienne finie, sans fidélité ni douceur, qui ne sut jamais qu’aboyer à la mort des pauvres et des musiciens errants fascinés par elle.

Les Pontmartin, pédestres et sages, applaudissent aux dégringolades et, naufrageurs effrayants des précipités du ciel, tirent après eux les cada-