Page:Bloy - Belluaires et porchers, 1905.djvu/327

Cette page a été validée par deux contributeurs.

périeure, d’être un lumineux individu, d’avoir dans le cerveau les tisons d’Hécate ou les marécages phosphorescents des Océanides. Ce serait plutôt gênant et ruineux, car les douanes sont si sévères à l’entrée de la tête humaine que le commerce de la pensée ne peut enrichir que les colporteurs du néant.

Le prestige de la Parole est, d’ailleurs, si surnaturel que son simulacre paraît encore plus puissant qu’elle-même. Il est donc préférable d’être imbécile quand on entreprend de parler au monde.

Il faut être fièrement, loyalement idiot ; il est nécessaire de n’avoir pas une idée dans la cervelle et de se rengorger de ce privilège, pour lequel, vraisemblablement, des millions de martyrs sont morts, des générations de misérables furent étripées, brûlées, noyées, broyées, dépecées le long des siècles, — et pour lequel aussi, sans doute, se sont assis, dans les ténèbres de poix, des esprits sans nombre qui attendent horriblement la fin de l’Éternité !

C’est alors que s’impose inéluctablement la Prostitution. Non plus cette prostitution figurative du Sexe dont les seuls cafards ont une ostensible horreur et que je m’obstine à croire mystérieuse et inexpliquée, mais la prostitution mille fois plus basse de l’Intelligence.