Page:Bloy - Belluaires et porchers, 1905.djvu/287

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’attention de ce rêveur ignorant des vrais trésors.

La plus belle et la plus rare de toutes les pierres a été possédée par Villiers de l’Isle-Adam qui m’en raconta l’histoire.

— Autrefois, me disait-il, un pauvre galet qui avait, par privilège, son centre de gravitation dans l’Infini, s’est détaché de la terre, se précipitant sur le sein des Gouffres. La rapidité de sa chute, énorme déjà dès le premier quart de la première seconde, s’est naturellement et indéfiniment multipliée par elle-même suivant la loi mathématique des attractions. En sorte que l’épouvantable vitesse continuellement accélérée de sa translation, depuis des siècles, a certainement dépassé celle des comètes, celle de la foudre, celle de la lumière, celle de la pensée…

Où donc alors est cette pierre qui serait ainsi, rigoureusement, partout à la fois, comme Dieu lui-même, où donc est-elle en ce moment, si ce n’est entre mes deux sourcils, — juste à la place où réside mon pouvoir d’excogiter l’Absolu divin ?

Disant cela, Villiers se plantait l’index au milieu de son large front, et son étrange apologue me faisait penser à Celui qui voulut être la « Pierre d’angle élue et précieuse », afin d’assumer la chute des hommes.

J’eus, ce jour-là, une idée de plus sur l’importance inexprimable des minéraux que dédaignent nos lapidaires.


Juin, 1893.