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Quand l’auteur de l’Homme écrivait ces lignes, il pensait à lui, sans doute, parce qu’il n’est pas possible qu’un personnage d’une si nette supériorité s’oublie soi-même quand il parle de la douleur, mais il n’était à ses propres yeux qu’une unité dans la déplorable compagnie des parias de l’intellectuelle majesté, sur lesquels sanglotait son âme.

Mais voici venir une clameur plus distincte.

« Ne crois pas, ô terre, que j’adresse à toi ma plainte. Tu n’es que le théâtre, tu n’es pas le but de mes cris et je ne te permets pas de les garder un seul instant dans tes entrailles. Ils vont à Dieu, à Dieu seul. Ne les retarde pas, ils sont pressés. Ils parlent de toi, ils ne vont pas à toi. Mes cris sont mes trésors. Ils sont ma richesse immortelle. Si je te les confie un moment, c’est pour qu’ils te frappent du pied et que, prenant sur toi leur élan, ils s’élancent plus haut dans le ciel. Mais ne dérobe pas le plus petit d’entre eux. Ne dérobe rien, ne cache rien. Que le moindre de mes gémissements ne s’attarde pas dans l’un des replis de ton sol. Que pas une goutte de mon sang ne soit perdue ! Je suis avare, sois fidèle ; j’ai compté mes gouttes de sang, j’ai compté les rugissements de mon cœur. Je te demanderai compte de tout jusqu’à un atome. Lance à l’instant vers le ciel ce que je laisse tomber sur toi ; les secondes aussi sont comptées. »

Un être capable de vociférer de telles admo-