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Heureux encore s’il n’avait pas été en butte, parmi les siens, à des défiances qui, austères seulement de la part des uns, présentaient chez les autres un caractère marqué d’injustice. Suivant ceux-là, il n’était ni assez respectueux pour le peuple, ni assez impatient de son triomphe. Ceux-ci allaient plus loin ils lui reprochaient son élégance militaire et les formes patriciennes de son dédain ils ne pouvaient lui pardonner l’injure de sa supériorité et qu’il eût conquis jusqu’à l’estime de ses adversaires. C’est là en effet ce que pardonne le moins aisément aux hommes d’élite la médiocrité envieuse qui, dans un pays libre, gronde au fond de tous les partis. Mais la liberté vaut bien que, pour la servir, on affronte le plus grave de ses dangers, qui est l’ostracisme !

Pour achever ce tableau de l’agonie morale d’un grand cœur, ajoutons qu’Armand Carrel recevait depuis quelque temps des lettres anonymes qui lui prodiguaient tantôt la menace, tantôt l’insulte elles l’appelaient spadassin, et lui prédisaient comme châtiment de la dictature exercée par son courage, une fin prochaine et tragique. Quelques-unes de ces lettres présentaient de sinistres emblèmes un pistolet et une épée en croix, par exemple. Dans des temps meilleurs, Armand Carrel n’aurait eu que du mépris pour tant de lâcheté ; mais, au point de découragement où il était tombé alors, il ne put se défendre d’une secrète angoisse, et il eut des pressentiments. Un jour il raconta en ces termes aux plus intimes de ses amis un songe dont le souvenir le poursuivait : « J’ai vu ma mère