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soit fait le courtisan de la gloire et de la grandeur, à la bonne heure ; mais se faire le courtisan de ceci !… » Donc pas un fait qui prouve la capacité de M. de Talleyrand.

À la vérité, il a traversé beaucoup d’orages, et il est mort dans son lit. Mais, pour se tenir debout dans les hautes régions de la politique, quand on n’aspire qu’à cela, que faut-il ? Avoir une âme d’esclave ; savoir être infidèle au malheur et ingrat ; ramper dans la tyrannie ne sentir ni l’orgueil des choses sublimes, nU’ambition des vastes desseins ; être assez médiocre pour qu’on dédaigne de vous haïr, et assez vil pour qu’on se serve de vous, même en vous méprisant. On appelle cela le génie de l’homme heureux ! Ah ! qu’on descende jusqu’aux plus humbles conditions ; qu’on regarde ce malheureux aux prises avec la misère ; qu’on calcule l’étendue des ressources qu’il est obligé de mettre en œuvre pour échapper à la faim, la force de volonté qu’il emploie contre le désespoir… « Vous vous croyez un grand homme, Monsieur le comte, parce que vous êtes un grand seigneur, dit Beaumarchais. Eh morbleu perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science pour subsister seulement qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes. » Non, le génie n’a point le succès pour mesure. La vraie grandeur ne reste pas si aisément impunie. Seul, abattu, exilé sur un point de la mer, et tenant fixés sur son impuissance les regards de l’univers inquiet, Napoléon était plus imposant qu’au sommet de sa fortune, où l’appareil du souverain pouvoir le cachait à demi.