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mort ; la plupart y puisaient au contraire des motifs de consolation, et, entre autres, le duc de Noailles, Mme de Castellane. Beaucoup songeaient aux révélations curieuses qu’allait sans doute laisser après lui un homme qui avait passé un demi-siècle dans les coulisses de l’histoire ils ignoraient que ses Mémoires, déposés en Angleterre, ne devaient être ouverts, conformément à sa volonté, qu’au bout de trente ans.

Vers quatre heures du soir, on s’aperçut qu’il ne lui restait plus que quelques minutes à vivre. Il avait néanmoins toute sa connaissance et paraissait attentif aux prières. En entendant prononcer les noms de ses patrons, Charles, archevêque de Milan, et Maurice, martyr, il ajouta d’une voix faible : Ayez pitié de moi ! Enfin, comme l’abbé Dupanloup lui rapportait ces mots de l’archevêque de Paris : « Pour M. de Talleyrand je donnerais ma vie, Il aurait un meilleur usage à en faire, répondit-il. » Et il expira.

Rien ne devait manquer à la pompe officielle de ses funérailles ; mais le peuple, qui doutait de son âme, attaqua par des propos moqueurs l’inviolabilité de son cercueil.

Pourtant, chose bizarre et navrante ! cet homme, qui fut traître à son pays, qui méprisa l’humanité, qui n’hésita jamais à immoler d’un trait de plume des millions de créatures humaines, qui trempa dans toutes les iniquités fameuses, qui fit de la politique une science sèche et dure à l’excès, abominable et funeste, il se montrait, dans ses rapports privés, d’une bonté peu commune. Les gens de sa maison