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cela une facilité singulière à se plier au joug des circonstances, peu d’élévation dans les vues, nulle hardiesse dans l’exécution, un amour-propre inquiet et trop aisément irritable : voilà ce que M. Molé avait apporté aux affaires en qualités et en défauts.

Qu’il eût occupé dans le Conseil la première place sans y prétendre à la domination, M. Guizot le lui aurait pardonné ; mais M. Molé, comme premier ministre, entendait avoir le pas sur ses collègues, et c’est ce qui paraissait intolérable à M. Guizot, jaloux de personnifier dans un poste secondaire le Cabinet tout entier, et réclamant une influence proportionnée aux haines soulevées contre lui. M. Molé devant M. Guizot, c’était la susceptibilité patricienne aux prises avec l’orgueil. Le premier s’irritait d’avoir la suprématie à conquérir ; le second affectait à l’égard de l’homme qui la lui contestait une sorte d’étonnement dédaigneux dont rien n’égalait l’injure. De là un duel sourd, implacable, dans lequel les conceptions législatives, les desseins politiques, l’emploi des agents, les mesures les plus générales en apparence, n’entraient que comme des armes à l’usage de la jalousie. Nous en pourrions citer mille preuves ; quelques-unes suffiront, et peut-être le lecteur trouvera-t-il instructive la puérilité même de certains détails.

C’était, on l’a vu, M. Guizot qui avait fait placer au ministère de l’intérieur, pour y être tout-puissant, M. de Gasparin. La présence de M. de Gasparin dans le Conseil était donc très-gênante pour M. Molé. Aussi, quelle ne fut pas la joie du premier ministre lorsque, dans la discussion de l’adresse, il vit son