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bun, de la nationalité trahie ou du peuple humilié, il se livrait, éperdu, au démon qui le dominait. Il était admirable alors ; son œil s’enflammait ; sa tête, rejetée en arrière, lui donnait un air audacieux et superbe ; sa voix sonore trouvait des accents inattendus ; son geste dessinait merveilleusement sa parole, tour-à-tour majestueuse et terrible… Il y avait un moment où l’assemblée se levait avec transport. Et le lendemain, le parti sur qui réjaillissait la gloire de l’orateur, osait à peine blamer tout bas son imprudence et ses écarts.

Mais le rôle de M. Berryer n’allait pas au-delà de ces triomphes éphémères. Quand il était monté sur la scène, on n’accourait que pour l’écouter, que pour être ému. Orateur étrange qui n’exerçait aucune influence sérieuse, quoique environné de prestige, et qui, dans sa stérile omnipotence, agitait autour de lui les passions des hommes, sans les conduire !

M. de Villèle semblait se tenir à l’écart. MM. de Fitz-James, Hyde de Neuville, de Martignac, de Noailles jouissaient d’une considération inutile et laissaient flotter, pour ainsi dire, à l’aventure, les destinées de leur parti. Mais il y avait à la faiblesse de ce parti une cause encore plus profonde : il manquait de passions. La victoire lui était d’avance refusée, parce qu’une révolution ne lui était point nécessaire et parce qu’elle eût été, dans tous les cas, peu désirable pour les chefs. Qu’avaient-ils à espérer de mieux que ce qu’ils possédaient, eux dont le régime nouveau protégeait l’opulence, respectait les titres, ménageait les sou-