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Les affaires furent suspendues ; le soir, les théâtres furent fermés. La population, et ce sera dans les siècles à venir l’éternel honneur de ce pays, la population s’en allait par les rues consternée, silencieuse, et comme abaissée sous le poids d’une irréparable humiliation. Nous avions tous cessé de gémir sur nos propres malheurs, en songeant à ce peuple de vaillants hommes, qui périssait à quatre cents lieues de nous ; et tous, nous nous étonnions de cet acharnement inouï de la fortune qui, même après 1850 et ses prodiges, envoyait à la France une autre journée de Waterloo !

Le lendemain, l’abattement s’était changé en rage. Sur tous les points de Paris se formaient des groupes d’où la fureur publique s’exhalait en imprécations et en menaces. Des boutiques d’armuriers pillées, des barricades essayées, donnèrent, durant quelques jours, à la capitale l’aspect d’une ville en révolution. Ce n’étaient, sur les places, le long des quais, le long des boulevards, que fantassins et cavaliers attendant un signal funeste. Au rappel qu’on battait dans tous les quartiers se mêlait la voix perçante des crieurs publics, moniteurs ambulants que suivait le peuple ému. La foule s’était hâtée vers ce jardin du Palais-Royal qui, depuis 1789, se trouvait sur le chemin de toutes les révolutions, et la famille d’Orléans, du haut de sa demeure, eût pu voir repasser sous ses yeux les scènes qui, à son profit, perdirent la branche aînée. Mais les soldats, cette fois, n’arrivèrent pas trop tard : on dispersa la multitude, on ferma les grilles précipitamment, et des malheureux allèrent tomber sur la place frappés