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cation claire, sérieuse, profonde. La France désormais ne pouvait plus se faire illusion sur la nature du joug qu’on lui préparait. Condamner l’intelligence à céder le pas à la fortune, et placer dans la possession de quelques arpents de terre acquis souvent ou par succession, ou par fraude, ou par procès injustes, ou par agiotage, les garanties de moralité, de lumières, qu’on réclamait pour l’exercice de la souveraineté, c’était dire assez ouvertement sur quelle pente on allait pousser la nation. L’amour de l’argent était dans les mœurs : la tyrannie de l’argent passait dans les institutions, et la transformation de la société en devenait la décadence. Les esprits honnêtes durent avoir de tristes pressentiments, car une domination d’un genre tout nouveau allait peser sur le peuple, sans le consoler en l’éblouissant. Or, pour une grande nation, un despotisme qui l’écrase vaut mieux qu’un despotisme qui l’humilie.

Du reste, les législateurs de la bourgeoisie avaient oublié qu’ils vivaient dans un pays où la concurrence allait abaissant de plus en plus le niveau des fortunes immobilières, et où le code civil consacrait le morcellement indéfini des héritages. Ils n’avaient pas compris que plus le sol serait divisé, moins il y aurait de propriétaires en état de payer le cens de 200 fr. Quoi de plus chimérique que de vouloir immobiliser la puissance politique en lui donnant pour base la propriété, là où la propriété était devenue excessivement mobile ? Telle qu’on venait de l’adopter, la loi électorale[1] établis-

  1. Adopté par la chambre des députés le 9 mars 1831, et par la chambre des pairs le 15 avril suivant.