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donc pas fait seulement violence à la nation, il avait voulu faire violence au destin, double attentat dont maître et serviteurs avaient affronté volontairement les suites. La fatalité, d’ailleurs, n’excuse rien ou elle excuse tout. Les convictions ? Elles servent à l’homme devant Dieu ; mais si la justice devait se désarmer devant elles, l’impunité serait assurée à tous les crimes, et le meurtrier, par exemple, n’aurait, pour établir son innocence, qu’à prouver la sincérité de sa haine. Voilà ce que l’instinct du peuple, supérieur à tous les raisonnements, avait à opposer aux sophismes pompeux des rhéteurs.

M. Sauzet reprit et acheva, dans l’audience du 29, sa plaidoirie que, la veille, la fatigue avait suspendue. M. Crémieux lui succéda, et laissa voir, en élevant le bras, l’uniforme du garde national caché sous la robe de l’avocat. L’inquiétude, au reste, était sur tous les visages, et les juges faisaient, pour cacher leur préoccupation, des efforts qui la rendaient plus alarmante. M. Crémieux avait commencé sa plaidoirie par ces mots : « Il faut que je parle, et j’écoute encore. » Son discours, d’abord substantiel et logique, s’était insensiblement élevé à une poésie touchante et vague. Tout-à-coup sa voix s’éteint ; il chancelle : on le transporte évanoui dans la salle voisine. Toute l’assemblée est debout. On croit entendre un bruit sinistre…, c’est le tambour qui annonce l’insurrection.

La foule, en effet inonde les abords du palais, s’amoncèle aux grilles, et pousse des clameurs terribles. Sur ces entrefaites, un chariot de l’imprimerie royale entre dans la principale cour du palais,