Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 2.djvu/199

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réunis sur la place Vendôme, ils sont perdus. Je les paierais pour faire ce qu’ils font. » M. de Martignac cacha sa figure dans ses mains ; et M. Arago, qui ne voulait point la mort des accusés, promit de ne pas ajouter à sa déposition ces redoutables confidences.

Depuis quelques jours le bruit s’était répandu que M. de Sémonville avait à révéler beaucoup de choses significatives et singulières. La curiosité était vivement excitée. Elle redoubla lorsqu’il fut appelé à la barre. Il s’avança d’un pas chancelant, affaissé sur lui-même, et comme écrasé sous le poids de ses souvenirs. Sa figure, qui portait les traces de la vieillesse, avait en ce moment une expression particulière d’exaltation et de souffrance. À demi agenouillé sur la chaise qui lui devait servir d’appui, il fit entendre une voix languissante et faible. Il avait à raconter la démarche qui, dans la journée du 28, l’avait conduit d’abord auprès du conseil des ministres, ensuite à St.-Cloud. Arrivé au moment où Charles X l’avait reçu, il s’arrête tout-à-coup, invinciblement ému. L’assemblée était en suspens. « Je ne sais si je dois continuer, dit-il. » Mais, sur l’ordre du président, il reprend son récit. Il représente Charles X résistant d’abord à toute transaction, puis s’attendrissant au souvenir de la fille infortunée de Louis XVI, baissant la tête sur sa poitrine, et se résignant avec angoisse à l’humiliation de rendre l’épée de la monarchie. La sensation produite par ce tableau fut profonde, des larmes coulèrent ; ceux qui connaissaient M. de Sémonville ne virent dans son récit et dans son attitude qu’une scène habilement préparée.