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pouvait égaler. Habile, d’ailleurs, à ne se point troubler, il troublait les autres par l’insolence polie de ses manières, l’impassibilité de son visage, le perpétuel sourire de ses yeux à demi-clos et leur douceur profondément ironique. Mais tout cela ; n’aurait pas suffi pour sa renommée, si l’Europe coalisée contre nous n’eût voulu rendre influent l’homme qu’elle avait choisi pour abaisser et ruiner la France. M. de Talleyrand eût la niaiserie de s’y tromper ; il ne comprit pas que nos ennemis lui avaient fait une illustration proportionnée à nos infortunes. Homme à peine digne de pitié ! Car sa réputation s’accrut de chaque opprobre éclatant, et sa prospérité résuma tous les désastres de son pays.

Le discours de M. de Talleyrand dans son audience de présentation au roi d’Angleterre fut tel que pouvaient le désirer les Anglais, et ce jour là, furent posés les fondements de l’alliance anglo-française, alliance impossible à établir d’une manière durable entre deux peuples régis depuis 1789 par les même lois économiques, et poussés par le principe de concurrence à se répandre également au-dehors, à convoiter d’une égale ardeur la conquête de débouchés nouveaux, la domination industrielle du globe, l’empire des mers ! Cette impossibilité que l’esprit étroit de M. de Talleyrand était incapable de pressentir, n’échappa certainement pas à la sagacité des hommes d’état de l’Angleterre ; mais habitués à dissimuler leurs sentiments, ils acceptèrent avec transport ; l’offre d’une alliance que la détresse de leur pays leur rendait momentanément nécessaire.