Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 1.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tion, c’est ce qu’elle a de morne, de peu solennel. La foule n’est pas là, au moment suprême ; on l’a trompée : elle est à la plaine de Grenelle. Michel Ney, maréchal de France, prince de la Moskowa, duc d’Elchingen, est fusillé dans un lieu muet, désert, au pied d’un mur, par des soldats qui se cachent, sur l’ordre d’un gouvernement qui a peur de sa propre violence. Ceci explique pourquoi les premières cruautés de la Restauration laissèrent dans les cœurs une trace de feu. Ney avait tourné contre Louis XVIII l’épée qu’en 1814 il avait reçue de lui pour le défendre, cela n’est pas douteux. Il est vrai qu’il était couvert par une capitulation protectrice. Mais le glaive des réactions ne s’arrête pas pour si peu. D’ailleurs, depuis un demi-siècle, tuer ses ennemis n’était pas chose nouvelle. 93 avait lassé le bourreau. Mais les coups que la Révolution avait frappés avaient dans les nécessités d’une situation inouïe leur explication et plus que leur excuse. Le bruit de la hache, en 93, se perdait dans les clameurs du forum et dans la tempête universelle. Ici, rien de semblable. On se recueillait pour tuer, et toute une nation faisait silence autour des bourreaux. Quoi qu’il en soit, si la bourgeoisie s’indigna, son indignation était désintéressée assurément, puisque Ney et Labédoyère mouraient victimes d’une idée combattue et vaincue avec le concours de la bourgeoisie elle-même, puisqu’ils mouraient victimes de l’Empire, puisqu’ils