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leur remettait le duc de Bordeaux. « Le duc de Bordeaux ! s’écria vivement le prince, mais c’est votre roi ! » La duchesse d’Orléans était présente. Profondément attendrie, elle s’avança vers son époux et se jeta dans ses bras en disant : « Ah vous êtes le plus honnête homme du royaume. »

Le duc d’Orléans avait préparé toutes choses pour l’embarquement et l’exil de la dynastie vaincue. Le général Hulot fut envoyé à Cherbourg, et reçut le commandement des quatre départements qui séparent la capitale de la mer, dans la direction de la Grande-Bretagne. On enjoignit aussi, dès le 2 août, à M. Dumont-d’Urville de partir pour le Havre en toute hâte et d’y fréter deux bâtiments de transport.

En même temps on imprimait dans le Courrier Français, feuille dévouée à l’établissement d’une dynastie nouvelle un article tendant à prouver l’illégitimité du duc de Bordeaux[1].

  1. Les propositions que M. le duc de Mortemart est venu faire à la chambre des pairs en faveur du duc de Bordeaux vont ramener l’attention sur une question qui pourra être enfin examinée et discutée librement. Nous nous bornerons à publier aujourd’hui la première pièce insérée dans les journaux anglais du temps ; elle n’a jamais paru en France, sa publication est tout-à-fait opportune ; elle complète les rapprochements qu’on a faits jusqu’ici entre la famille des Stuart et celle des Capet.

    Voici la teneur de ce document intitulé : Protestation du duc d’Orléans, et rendu public à Londres en novembre 1820.

    « S. A. R. déclare par les présentes qu’il proteste formellement contre le procès-verbal daté du 29 septembre dernier, lequel acte prétend établir que l’enfant nommé Charles-Ferdinand-Dieudonné est fils légitime de S. A. R. Madame duchesse de Berri.

    Le duc d’Orléans produira en temps et lieu les témoin qui peuvent faire connaître l’origine de l’enfant et de sa mère il produira toutes les pièces nécessaires pour rendre manifeste que la duchesse de Berri n’a jamais été enceinte depuis la mort infortunée de son époux et il signalera les auteurs de la machination dont cette très-faible princesse a été l’instrument.

    En attendant qu’il arrive un moment favorable pour dévoiler toute cette intrigue, le duc d’Orléans ne peut s’empêcher d’appeler l’attention sur la scène fantastique qui, d’après le susdit procès-verbal, a été jouée au pavillon Marsan.

    Le Journal de Paris, que tout le monde sait être un journal confidentiel, annonça le 20 août dernier le prochain accouchement dans les termes suivants :

    Des personnes qui ont l’honneur d’approcher la princesse, nous assurent que l’accouchement de S. A. R. n’aura lieu que du 20 au 28 septembre.

    Lorsque le 28 septembre arriva, que se passa-t-il dans les appartements de la duchesse ?

    Dans la nuit 28 au 29, à deux heures du matin, toute ta maison était couchée et les lumières éteintes ; à deux heures et demie la princesse appela ; mais la dame de Vathaire, sa première femme de chambre, était endormie ; la dame Lemoine, sa garde, était absente, et le sieur Deneux, l’accoucheur, était déshabillé.

    Alors la scène changea : la dame Bourgeois alluma une chandelle, et toutes les personnes qui arrivèrent dans la chambre de la duchesse virent un enfant qui n’était pas encore détache du sein de la mère.

    Mais comment cet enfant était-il placé ?

    Le médecin Baron déclare qu’il vit l’enfant placé sur sa mère et non encore détaché d’elle.

    Le chirurgien Bougon déclare que l’enfant était placé sur ta mère et encore attache par le cordon ombilical.

    Ces deux praticiens savent combien il est important de ne pas expliquer plus particulièrement comment l’enfant était placé sur sa mère.

    Madame la duchesse de Reggio fait la déclaration suivante :

    « Je fus informée sur le champ que S. A. R. ressentait les douleurs de l’enfantement ; j’accourus auprès d’elle à l’instant même, et en entrant dans la chambre je vis l’enfant sur le lit et non encore détaché de sa mère. »

    Ainsi l’enfant était sur le lit, la duchesse sur le lit, et le cordon ombilical introduit sous la couverture.

    Remarquez ce qu’observa le sieur Deneux, accoucheur, qui à deux heures et demie fut averti que la duchesse ressentait les douleurs de l’enfantement, qui accourut sur le champ auprès d’elle sans prendre le temps de s’habiller entièrement, qui la trouva dans son lit et entendit l’enfant crier ;

    Remarquez ce que dit madame de Goulard qui, à deux heures et demie, fut informée que la duchesse ressentait les douleurs de l’enfantement, qui vont sur le champ, et entendit l’enfant crier ;

    Remarquez ce que vit le sieur Franque, garde-du-corps de Monsieur, qui était en faction à la porte de S. A. R., et qui fut la première personne informée de l’évènement par une dame qui le pria d’entrer ;

    Remarquez ce que vit M. Lainé, garde national qui était en faction à la porte du pavillon Marsan, qui fut invité par une dame à monter, monta, fut introduit dans la chambre de la princesse où il n’y avait que le sieur Deneux et une autre personne, et qui, au moment où il entra, observa que la pendule marquait deux heures trente-cinq minutes ;

    Remarquez ce que vit le médecin Baron, qui arriva à deux heures trente-cinq minutes, et le chirurgien Bougon qui arriva quelques instants après.

    Remarquez ce que vit le maréchal Suchet qui était logé par ordre du roi au pavillon de Flore, et qui, au premier avis que S. A. R. ressentait les douleurs de l’enfantement, se rendit en toute hâte à son appartement, mais n’arriva qu’à deux heures quarante-cinq minutes, et qui fut appelé pour assister à la section du cordon ombilical quelques minutes après.

    Remarquez ce qui doit avoir été vu par le maréchal de Coigny, qui était logé aux Tuileries par ordre du roi, qui fut appelé lorsque S. A. R. était délivrée, qui se rendit en hâte à son appartement, mais qui n’arriva qu’un moment après que la section du cordon avait eu lieu.

    Remarquez enfin ce qui fut vu par toutes les personnes qui furent introduites après deux heures et demie jusqu’au moment de la section du cordon ombilical, qui eut lieu quelques minutes après deux heures trois quarts. Mais où étaient donc les parents de la princesse pendant cette scène qui dura au moins vingt minutes ? Pourquoi durant un si long espace de temps affectèrent ils de l’abandonner aux mains de personnes étrangères, de sentinelles et de militaires de tous les rangs ? Cet abandon affecté n’est-il pas précisément la preuve la plus complète d’une fraude grossière et manifeste ? N’est-il pas évident qu’après avoir arrangé la pièce, ils se retirèrent à deux heures et demie, et que, placés dans un appartement voisin, ils attendirent le moment d’entrer en scène et de jouer les rôles qu’ils s’étaient assignés.

    Et en effet, vit-on jamais, lorsqu’une femme de quelque classe ce soit était sir le point d’accoucher, que pendant la nuit les lumières fussent éteintes, que les femmes placées auprès d’elle fussent endormies, que celle qui était plus spécialement chargée de la soigner s’éloignât, que son accoucheur fut deshabillé, et que sa famille habitant sous le même toit, demeurât plus de vingt minutes sans donner signe de vie.

    S. A. R. le duc d’Orléans est convaincu que la nation française et tous les souverains de l’Europe sentiront toutes les conséquences dangereuses d’une fraude si audacieuse et si contraire aux principes de la monarchie héréditaire et légitime.

    Déjà la France et l’Europe ont été victimes de l’usurpation de Bonaparte. Certainement une nouvelle usurpation de la part d’un prétendu Henri V ramènerait les mêmes malheures sur la France et sur l’Europe.

    Fait à Paris, le 30 septembre 1820. »

    (Courrier Français du 2 août 1830).