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Benjamin Constant, M. Laffitte lui dit : « Eh bien ? que deviendrons-nous demain ? — Nous serons pendus », répondit Benjamin Constant du ton d’un homme à qui il ne reste plus d’émotions fortes. Il ne lui restait plus, en effet, que celles du jeu.

A une heure de la nuit, M. Laffitte reçut la visite du colonel Heymès qui venait lui annoncer l’arrivée du duc d’Orléans. Il était entré à Paris vers les onze heures du soir, à pied, vêtu en bourgeois, accompagné seulement de trois personnes. Quels sentiments agitaient l’âme de ce prince lorsqu’il s’acheminait ainsi dans l’ombre vers son palais, se fatiguant à franchir des barricades, et forcé de répondre par le cri d’un peuple insurgé au qui-vive inquiet des sentinelles ?

On a vu comment le duc de Mortemart était arrivé à Paris. Il n’y fut pas même l’exécuteur testamentaire de la monarchie. Méconnue dans les bureaux du Moniteur, repoussée par la chambre des députés, insultée à l’Hôtel-de-Ville, son autorité n’avait fait que le charger d’un inutile fardeau. Lui-même, d’ailleurs, il était livré à un cruel balancement d’idées. Il n’aimait qu’à demi cette royauté mourante à laquelle pourtant il se devait tout entier, puisqu’elle s’était fiée à la loyauté de son cœur. Il était sous le poids de ces tristes pensées lorsqu’il fut invité, de la part du duc d’Orléans, à se rendre au Palais-Royal. Que voulait à un ministre de Charles X ce duc d’Orléans qui, aussitôt après son arrivée, avait envoyé complimenter M. de Lafayette et prévenir M. Laffitte ? Il était nuit. Le duc de Mortemart suivit les pas de l’en-