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que M. Laffitte eût mis à réaliser leur commune espérance autant de suite et de fermeté.

Quant aux motifs de cette détermination de Béranger, l’histoire doit-elle les condamner ou les absoudre ? Ni l’un ni l’autre.

En soutenant M. Laffitte dans les voies de l’Orléanisme, Béranger eut soin de le prémunir contre leur royale créature. Craignant la faiblesse de son ami, le prévoyant poète lui recommanda de ne se point laisser faire ministre et de se réserver, le cas échéant, pour une révolution nouvelle. Le choix de Béranger ne fut donc ni égoïste, ni tout-à-fait aveugle. Mais on peut lui reprocher de n’avoir pas compris que, dans un mouvement qui mêlait toutes choses, rien n’était impossible avec de l’énergie. Le peuple, jeté sur la place publique, savait trop peu ce qu’il voulait, pour ne pas donner à ceux qui se seraient mis résolument à sa tête, le prix de l’audace intelligente et vertueuse. Les grandes actions, après tout, ne naissent jamais que d’une folie sublime. Malheureusement, ne pas savoir oser est l’écueil des esprits trop pénétrants. Béranger voulut un roi, tout en se défiant de la royauté, parce qu’il vit clairement et promptement qu’il était plus facile de faire une monarchie que d’établir une république. Il était sincère, il était loyal ; mais il fut dupe de sa propre clairvoyance.

Le duc d’Orléans eût donc pour lui, dès le lendemain de la victoire du peuple, la puissance des noms et celle des idées, Jacques Laffitte et Béranger.

M. de Glandevès venait de quitter M. Laffitte, lorsque celui-ci vit entrer MM. Thiers, Mignet et