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lamenter sur leur position compromise, sur leurs biens jetés en pâture à la populace, sur leurs têtes menacées peut-être ! Le peuple était déchaîné : comment le contenir ? Et ils maudissaient à l’envi M. de Polignac. Possesseurs d’une fortune composée des débris de quatre révolutions, heureux pendant quinze ans dans un pays dont leur bonheur résumait les calamités, ils s’étaient attachés à la royauté absolue par calcul, non par conviction. Cela même leur avait permis une prévoyance dont M. de Polignac n’était point capable, parce qu’il était désintéressé comme tous les fanatiques, et loyal dans son aveuglement.

« Nous l’avions bien prédit, se disaient l’un à « l’autre tous ces grands personnages. Il fallait endormir la bête féroce : on l’a irritée. Nous voilà sur les bords d’un gouffre. Et pourquoi ? parce qu’on a repoussé nos sages conseils ; parce que la cour, dominée par l’ascendant fatal d’un insensé, n’a pas su modérer le mouvement de la contre-révolution. Qu’allons-nous devenir ? Qui sait si le retrait des ordonnances ne suffirait point pour calmer le peuple ? Là serait notre salut. »

Le grand référendaire de la cour des pairs, M. de Sémonville, partit donc du Luxembourg pour se rendre à l’état-major. M. d’Argout l’accompagnait. Ils arrivent ; ils trouvent le duc de Raguse inquiet, désespéré. En les voyant entrer, le maréchal passe dans la pièce voisine où les ministres étaient rassemblés, et en sort aussitôt après avec M. de Polignac. M. de Sémonville accabla le prince de reproches amers et violents. Celui-ci répondit avec