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envers le roi son fils aussi loyaux et affectionnés sujets qu’ils n’avaient cessé de l’être envers lui. La harangue du conseiller Bruxelles avait été écoutée avec faveur. L’attention de l’assemblée redoubla lorsqu’elle vit l’empereur se disposer à parler lui-même. Charles-Quint mit ses lunettes, et jetant les yeux, pour aider sa mémoire, sur des notes contenues en un petit papier qu’il tenait à la main, il commença par rappeler aux états qu’il y avait eu quarante ans, la veille des Rois, dans le même lieu et presque à la même heure, que l’empereur Maximilien, son aïeul, l’avait émancipé. Il parla de la mort du roi catholique qui l’avait obligé de passer en Espagne, de celle de l’empereur, de la dignité impériale qi’il avait sollicitée, « non pour ambition d’avoir plus de seigneuries », mais pour le bien de ses propres États. Il dit que, depuis, il avait fait neuf voyages en Allemagne, six en Espagne, sept en Italie, dix aux Pays-Bas, quatre en France, deux en Angleterre, deux en Afrique, sans compter ses visites à ses royaumes, pays et îles, et son passage par la France, en 1539, « qui n’avait pas été la moindre de ses entreprises »; qu’il avait, dans ces divers voyages, traversé huit fois la Méditerranée et trois fois l’Océan. Il donna de grands élogesà la reine Marie pour la sagesse et l’habileté avec lesquelles elle avait gouverné les Pays-Bas pendant ses absences de ces provinces. Il exprima ses regrets de n’avoir pu, avant son départ, les faire jouir des bienfaits de la paix, assurant les états que si, sous son règne, ils avaient été fréquemment exposés aux maux que la guerre entraîne à sa suite, cela avait été bien contre sa volonté; que chaque fois il s’était vu forcé par ses ennemis de prendre les armes pour sa défense. Tant de choses qu’il avait accomplies n’avaient pu l’être — poursuivit-il — sans de grandes fatigues, comme il était aisé de le voir par l’état où il se trouvait; aussi y avait-il longtemps qu’il sentait son insuffisance, et à son dernier départ pour l’Allemagne, il était décidé à se décharger d’un fardeau qu’il n’était plus capable de porter : mais les affaires étant tombées en une extrême confusion, il ne voulut point abandonner à un autre la peine de les rétablir. Il raconta, après cela, en quelques mots, son entreprise contre Metz et ses deux expéditions de 1553 et 1554 contre le roi de France, disant, à propos de la dernière, qu’il avait fait ce qu’il avait pu, et qu’il lui déplaisait de n’avoir pu mieux faire. Il ajouta que, se voyant tout à fait inutile, Dieu ayant retiré de ce monde la reine sa mère, et son fils pouvant mieux que lui remplir envers ses peuples les obligations attachées à la couronne, il n’avait plus voulu différer la renonciation pour laquelle les états étaient réunis. Il leur recommanda son fils, et revenant sur ce que le conseiller Bruxelles leur avait déclaré de sa part, il les convia à demeurer unis, à soutenir la justice, surtout à ne pas permettre que l’hérésie se glissât dans le pays. Sa péroraison fut des plus touchantes : « Je sais bien, messieurs, dit-il, qu’en tout mon temps j’ai fait de grandes fautes, tant par mon jeune âge, par ignorance et par négligence qu’autrement; mais bien vous puis-je certifier que jamais je n’ai fait force ni violence, à mon escient, à aucun de mes sujets. Si j’en ai fait quelqu’une, ce n’a été à mon escient, mais par ignorance; je le regrette et j’en demande pardon. » En prononçant ces dernières paroles, il s’attendrit et des pleurs s’échappèrent de ses yeux. Il reprit aussitôt, disant : « Si je pleure, messieurs, ne croyez pas que ce soit pour la souveraineté dont je me dépouille en cet instant : c’est pour l’obligation où je suis de m’éloigner du pays de ma naissance et de me séparer de vassaux tels que ceux que j’y avais. » L’émotion de l’assemblée était à son comble : parmi les personnes présentes, il y en avait peu dont les larmes ne répondissent à celles du prince qui montrait tant de modestie, tant de simplicité, unie à tant de grandeur[1].

  1. « Il ultimo, non potendo contener le lacrime, soggiunse che la cagion del suo pianto non era perchè si dolesse di spogliarsi di questi Stati, ma increscendole d’haver a lassare el paese natio et l’amorevolezza di tali suoi vassali..... con che mosse le lacrime a tutti circunstanti che l’udirono..... » (Dépêche de l’évêque Tornabuoni du 26 octobre, déjà citée.)