Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les reconnaître avec deux escadrons de cavalerie. La position qu’ils avaient choisie là était très-forte. Charles, voyant l’impossibilité de les y attaquer — car, outre l’avantage qu’elle leur donnait, ils avaient celui d’une grande supériorité numérique[1], — tenta, mais en vain, par des escarmouches et des embuscades, de la leur faire abandonner; il s’attacha alors à intercepter les convois de vivres qui leur étaient expédiés : de leur côté ils en firent autant, et il advint que, pendant deux fois vingt-quatre heures, les troupes impériales manquèrent de vin et de pain[2]. Le 28 octobre Charles voulut essayer, de nuit, ce qui ne s’était pu faire de jour : il ordonna une camisade de toute l’infanterie espagnole, de sept mille lansquenets, de la cavalerie du grand-maître de Prusse et du marquis Albert de Brandebourg, lesquels, sous le commandement du duc d’Albe, marchèrent vers le camp des confédérés. Il se promettait un important résultat de cette expédition; comme il en avait l’habitude à la veille d’une bataille, il s’était confessé et avait reçu la communion. Toute la nuit il demeura armé, et il prit seulement quelques heures de repos dans un chariot couvert. L’affaire manqua, les protestants ayant été prévenus par leurs espions de ce qui était projeté contre eux. Quand le duc d’Albe s’approcha, il les trouva préparés à le recevoir : leur camp était éclairé par des torches et des falots allumés en si grand nombre qu’on y voyait comme en plein jour[3].

Cependant l’hiver commençait à se faire sentir; les nuits étaient très-froides; il pleuvait presque tous les jours, et les chemins devenaient impraticables; dans le camp impérial il y avait plus d’un pied de boue. À ces incommodités se joignait la difficulté de se procurer des vivres. Beaucoup de monde mourait au camp de peste, de froid et de faim. Les soldats italiens, qui avaient à se plaindre et de la paye insuffisante qu’on leur donnait[4] et des traitements de leurs chefs, ne pouvant supporter tant de privations et de fatigues, abandonnaient journellement leurs drapeaux; il en partit trois mille en une matinée[5], à l’occasion du retour en Italie du cardinal Farnèse, qui avait été rappelé par le pape. Dans ces circonstances, les chefs de l’armée conseillaient à l’empereur de lui faire prendre des quartiers d’hiver; mais Charles n’y voulut pas entendre, et, comme on insistait, il défendit qu’on lui en parlât davantage[6]. « Il considéra » — c’est lui-même qui nous l’apprend dans ses Commentaires[7] — « que tout le bon effet de son entreprise consistait à disperser l’armée des protestants et à séparer leurs forces; il lui sembla que placer son armée dans des garnisons, c’était la diviser, l’amoindrir, la rompre. » Il ne songeait plus toutefois à faire le siége d’Ulm : loin de là, le 31 octobre, il résolut de revenir sur ses pas et de se loger le long du Danube, entre Lauingen et Dillingen, à six milles italiens des protestants.

Sa situation ne laissait pas d’être critique, car chaque jour qui s’écoulait ajoutait aux souffrances de son armée, lorsque, le 8 novembre, un courrier lui apporta la nouvelle que le roi Ferdinand et le duc Maurice s’étaient emparés d’une grande partie de la Saxe. Il n’y avait rien qui eût pu lui survenir plus à propos; en effet il était à prévoir que l’électeur Jean-Frédéric quitterait les confédérés pour aller reconquérir ses États; aussi fit-il annoncer à tout son camp cette importante nouvelle par des salves d’artillerie. Plusieurs jours cependant se passèrent sans qu’aucun mouvement se fit apercevoir dans l’armée ennemie. Comme le lieu qu’occupait le camp impérial était bas et fangeux,

  1. D’Avila (fol. 34 v°.) donne quatre-vingt-dix mille hommes aux confédérés; mais il parait y avoir de l’exagération dans ce chiffre.
  2. Mocenigo.
  3. Mocenigo. — D’Avila, fol. 63.
  4. Dans sa lettre du 6 septembre, le comte de Stroppiana dit que leur solde ne suffisait pas pour le vin qu’ils buvaient.
  5. Commentaires de Charles-Quint, p. 161.
  6. « ..... Cesare cra consegliato da tutti li sui capitani di guerra ad invernare hormai tutto l’esercito, dividendo in più lochi le genti sue : ma Sua Maestà, seben vedea quanto si pativa, non volse mai assentire di farlo, ansi commandò che di questo più alcuno non li parlasse..... » (Mocenigo.)
  7. Page 163.