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chef du parti populaire ; Mathieu Lahaye, dit Sani, lui est adjoint. Le calme se rétablit pour une heure ; mais de part et d’autre des protestations s’élèvent. Il y a eu violence, irrégularité ; tout est à refaire. Le grand mayeur, qui se tenait sur les degrés de la cathédrale, quitte brusquement son poste ; après bien des pourparlers, Beeckman ne consent à accepter la magistrature qu’en qualité de simple administrateur, et ce, moyennant assurances formelles de protection. Quelques jours plus tard, l’évêque lui fit demander les clefs magistrales : il fit d’abord résistance, mais tout porte à croire qu’il finit par céder.

La conduite de l’administrateur fut constamment empreinte de modération et de générosité, même dans les moments où il ne pouvait se méprendre sur les dispositions de Ferdinand. Des lettres fort compromettantes pour l’évêque furent interceptées : il n’y était question de rien moins que d’une invasion de troupes allemandes, de la déposition des magistrats, de l’arrestation et peut-être du supplice de Beeckman[1]. L’élu garda une attitude calme et digne, donna au peuple les plus sages conseils et, au risque de le mécontenter, se contenta de renvoyer au delà des frontières quarante soldats de la garnison de Maestricht, qui avaient été pris les armes à la main, se livrant au pillage dans la banlieue. Le continuateur de Foullon résume en ces termes le programme politique de Beeckman ; on peut le livrer aux commentaires du lecteur :

« 1o Ne rien changer aux rapports de Liége avec l’empire ; 2o Prêter secours à l’empereur quand il combattra les Turcs, l’ennemi commun ; mais en toute autre circonstance, rester neutre ; 3o Respecter les droits et les prérogatives du prince-évêque ; 4o Ne souffrir aucune atteinte aux priviléges, aux libertés de la cité ; 5o Contracter alliance avec les puissances catholiques limitrophes ; résister seulement à toute tentative hostile et tyrannique ; 6o Eviter toute guerre, notamment contre les états généraux. »

Un commissaire impérial fut chargé de présider aux élections de 1630. Il insinua au conseil que si les formes prescrites par le règlement de Mathias n’étaient pas observées, la cité serait dépouillée de ses privilèges ; il prononça le mot : ban de l’empire. Beeckman vit l’envoyé, le reçut chez lui ; on finit par trouver un tempérament. Les élections eurent lieu, pour la forme, selon le désir de l’empereur. Beeckman n’ayant été qu’administrateur pendant l’année qui achevait de s’écouler, on jugea qu’il pouvait, sans inconstitutionnalité, être élu deux fois de suite[2]. On lui donna pour collègue un autre ami du peuple, « nourri à son école depuis sept ou huit ans, » l’avocat Sébastien de La Ruelle, du conseil ordinaire. Au fond, c’était un triomphe. Les Liégeois laissèrent éclater leur allégresse ; Ferdinand en conçut le dépit le plus amer. De son autorité privée, il annula les opérations électorales[3]. On n’y prit point garde, et les bourgmestres déclarèrent qu’ils se maintiendraient au besoin par la force des armes.

Le 29 janvier 1631, moins d’un mois après son entrée en charge, Beeckman passa de vie à trépas. Il était souffrant depuis quelque temps ; il avait vu approcher sa fin. On rapporte qu’au moment où il reçut la nouvelle de la mort de l’ex-bougmestre Mathias d’Ans, un de ses anciens adversaires politiques, il s’écria : « Nous irons bientôt là-haut recommencer nos querelles. »

À tort ou à raison, le peuple liégeois crut à un empoisonnement. Le poëte Lambert de Hollongnes consacra cette tradition par les vers suivants :

Une liqueur empoisonnée
Précipita sa destinée

Pour arrester notre bonheur.
  1. De comprehendo Beeckmano, meritáque pœná afficiendo. Continuateur de Foullon, t. III, p. 78.
  2. Ceci répond à l’argumentation de Villenfagne, qui considère comme illégales les élections de 1630. V. Dewez, Hist. du pays de Liége, t. II. p. 227.
  3. Les ennemis des bourgmestres prétendirent que le vote n’avait été pas libre ; que Beeckman s’était emparé dés la veille des portes de la ville ; qu’il avait placé cent hommes à la Violette, etc. Dans les chroniques manuscrites, les récits concernant Beeckman sont singulièrement contradictoires.