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nuer la tradition des discussions d’école ; au lieu d’opposer mes expériences à celles des autres auteurs, je vais prendre dans leur ensemble tous les résultats qui ont été obtenus dans l’étude d’une question, pour rechercher quels sont, parmi ces résultats, ceux qui s’accordent et peuvent être groupés dans une même synthèse. Je retiendrai seulement les expériences qui se répètent entre toutes les mains, et qui donnent toujours la même conclusion, quelle que soit la fin cherchée ; je mettrai au contraire en réserve, sans les juger, tous les phénomènes qui n’ont encore été observés que par une seule personne, et qui ne se rattachent pas logiquement à un ensemble de faits connus et acquis ; et bien entendu je ferai subir cette épuration à mes propres travaux comme à ceux des autres auteurs.

L’occasion me paraît être favorable pour tenter cette œuvre d’éclectisme ; il se produit en ce moment un fait assez curieux : un grand nombre d’observateurs qui n’appartiennent ni à la même école ni au même pays, qui n’expérimentent pas sur le même genre de sujets, qui ne se proposent pas le même objet d’expérience, et qui parfois s’ignorent profondément, arrivent au même résultat, sans le savoir ; et ce résultat, auquel on parvient par des chemins divers, et qui fait le fonds d’une foule de phénomènes de la vie mentale, c’est une altération particulière de la personnalité, un dédoublement ou plutôt un morcellement du moi. On constate que chez un grand nombre de personnes, placées dans les conditions les plus diverses, l’unité normale de la conscience est brisée ; il se produit plusieurs consciences distinctes, dont chacune peut avoir ses perceptions, sa mémoire et jusqu’à son caractère moral ; nous nous proposons d’exposer en détail le résultat de ces recherches récentes sur les altérations de la personnalité.

 Saint-Valery, 1891.